Textes philosophiques allemands: Husserl, "Lebenswelt"

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UE 4/ PHI 29 F/ Textes philosophiques allemands

− À l’usage des étudiants de Licence 3e année (2ème semestre)

Résumés complets en français des textes de l’ouvrage :

Edmund Husserl, Die Lebenswelt

Auslegungen der vorgegebenen Welt und ihrer Konstitution.

Texte aus dem Nachlass (1916-1937)
 Rochus Sowa, éd.

Husserliana“: Edmund Husserl – Gesammelte Werke, Band 39
2008, 956 p.

ISBN : 978-1-4020-6476-0

Springer, Dordrecht < www.springer.com >

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I. La Prédonation du Monde. Texte N° 1. Fondation originaire du sens d’être… (1920) Les étants, considérés au point de vue du sens qu’ils ont pour moi, dans la mesure où je m’occupe d’eux, n’ont pas un sens d’être indépendant. (1) Horizon interne : Leur sens d’être ou leur valeur s’inscrit dans un horizon de validité durable en rapport à des actes de réactivation possibles de l’acte de validation originaire – ou, pour les actes de validation nouveaux, en rapport à un schème de sens anticipateur de sa saturation future. Ex : la vision pour la première fois d’un palmier. Toute description est interprétation. (2) Horizon externe : Leur sens d’être s’inscrit dans l’horizon de sens du monde, dans la mesure où chaque étant est seulement en relation à d’autres, sa position comme étant s’accompagnant de la co-position latente d’un horizon d’objectivités ultérieurement explicitable en jugements positionnels. Descartes a cru possible d’inhiber cette position d’être universelle grâce à la mise en doute du monde pour démontrer l’indépendance de la validation d’être de l’ego cogito.

Texte N° 2. Arrière-fond et Prédonation. (1920) La difficulté de la constitution de la chose perçue tient au fait que : (1) La perception, comme détachement sur un arrière-fond (Ex : un son bref sur le fond d’un son prolongé), renvoie à une phase antérieure de pré-donation (esquisses) ; (2) dans cette phase antérieure, la chose ne peut pas être donnée puisqu’elle ne saurait l’être que dans son aperception complète. Il y a deux concepts de prédonation : (1) la prédonation des objets sélectionnés tour à tour par l’attention ; (2) la prédonation des structures de l’expérience subjective (corps propre, corps d’autrui, la personne avec ses vécus, etc.) par rapport à toute la mondanéité prédonnée. Ne peut m’être donné que ce qu’une constitution préalable m’a préparé. Les kinesthèses, comme pouvoirs pratiques du Je éveillé, doivent être associées aux données sensorielles dans l’unité pratiquement disponible d’une chose, pour que celle-ci soit saisie dans la perception.

Annexe I. Arrière-fond et objectivité prédonnée. (1920) L’orientation vers l’objet de perception comporte des unités intermédiaires, et l’objet lui-même comme terme final. La visée du Je traverse les kinesthèses pour se porter vers la chose. Mais, ce qui est fin peut devenir moyen en fonction de l’intérêt. L’arrière-fond objectif est le domaine des objets constitués qui sont prédonnés dans le champ de l’attention sans être actuellement buts de visée. Les données hylétiques doivent avoir été thématisées avant de pouvoir régresser dans la mémoire reproductive. L’horizon de l’intentionnalité est ouvert : tout objet constitué est passage vers un objet nouveau.

Texte N° 3. Le Monde prédonné à partir d’une acquisition originelle. (1921) Le monde pour nous est le monde spatio-temporel des objectivités et non pas le monde immanent du flux de conscience. Le monde des choses est le monde de nos intérêts, nous l’avons comme un acquis permanent, comme milieu de constitution des objectivités. En revanche, la sphère immanente n’est pas une sphère de constitution d’objectivité. L’immanence n’est pas un telos pour la vie subjective, même si elle est l’objet d’un intérêt spécial de la part du psychologue, du théoricien de la connaissance et du phénoménologue. C’est sur le monde constitué objectif que repose la possibilité de traiter l’immanence comme un étant et le flux de conscience comme un champ d’objets.

Annexe II. Prédonation et affectivité. (1920) Normalement, notre vie se rapporte au monde des objets, source des affections et stimulations pour les orientations de l’attention. Le flux de la vie constituante n’est pas pris en considération par l’attention : cette vie est contrainte à l’anonymat pour que l’orientation objective soit possible. La réduction phénoménologique réalise le changement d’attitude qui sort de l’anonymat le monde de la subjectivité.

Texte N° 4. Le Monde prédonné. (1928) Tout objet perçu est dans un champ : champ visuel, tactile, auditif, lequel s’étend au-delà de cet objet. Le champ de conscience s’étend au-delà du champ de perception grâce à l’évocation de nouvelles objectivités par la mémoire et l’anticipation. Le champ effectif des objets conscients (le rayon effectivement conscient du monde) s’entoure d’un horizon ineffectif de “l’inconscient” (objets non saillants). Il y a toujours plus de choses visées que saisies, un horizon d’évocations possibles est toujours co-visé. Le dévoilement des objets de la création artistique et littéraire dans le monde prédonné renvoie à des objets premiers a-culturels, dépourvus des déterminations provenant des activités de l’esprit des humains. De même que autrui ne peut m’être donné que si m’est donné son corps et par là son esprit, de même les objets culturels, comme objets dotés de signification par autrui, doivent d’abord m’être accessibles comme objets. La nature est l’univers des objets de l’intuition immédiate. Elle est la couche inférieure d’une stratification génétique comportant d’abord les déterminations culturelles issues de moi tout seul. La genèse du monde prédonné comporte : (1) la nature immédiate ; (2) la perception d’autrui comme corps et comme Je ; (3) l’expérience d’un monde d’hommes articulé en communautés avec chacune sa culture commune. Cette genèse se réalise en chaque sujet à travers ses modes de comportement actifs et passifs. Le domaine des objets culturels est tout entier subjectif ; mais cela vaut aussi pour la nature parce qu’elle a acquis pour nous, hommes de culture européenne, une objectivité stable en raison du fait que nous tenons pour valable la norme des sciences de la nature.

Annexe III. Intellect passif et actif – objectivité sensorielle et catégoriale. (1920) Husserl abandonne la distinction de l’intellect passif ou actif en faveur de la distinction entre constitution associative ou catégoriale. (1) L’association fonde la connexité du vécu dans l’affection, la remémoration et l’expectative, à tous les niveaux de la constitution ; mais elle ne fonde pas les objets au sens prégnant. (2) L’objet requiert l’activité de la prise de connaissance du sujet pour sa saisie. (3) À des objets prédonnés s’applique l’action catégoriale dans le jugement. Tout objet doit pouvoir être, par essence donné tel qu’en lui-même ou prédonné. Tout acte de saisie d’une chose comme quelque chose renvoie à une genèse de cette saisie dans des activités subjectives où cette chose se préfigure en sa structure de sens. Toute objectivité fondée (ex. un ensemble) exige la donation tels qu’en eux-mêmes des objets fondateurs.

Annexe IV. Prédonation d’objectivités sensorielles et synthétiques (catégoriales). (1920) L’intuition donatrice originaire est le cas normal. Sont à distinguer deux types d’objectivités : (1) les objectivités prenant leur source dans des activités subjectives (2) les objectivités-substrats prédonnées à la pensée et au Logos : les objets sensibles. Les objectivités synthétiques ne sont pas données dans l’intuition originaire, mais elles peuvent toujours être constituées dans un processus synthétique. Exemples : un état de choses, une proposition mathématique, une inférence, une théorie qui me viennent à l’esprit en un éclair, sont d’abord dans un certain flottement à distance, d’où je peux les retirer par des actes de saisie univoque.

Texte N° 5. Le Monde de l’expérience pure. (1926/27) La nature, domaine fermé d’expérience congruente, contient les sujets humains et les objets culturels porteurs de déterminations subjectives. Réduction à la pure nature : dans quelle mesure les sujets forment-ils une couche d’expérience fermée ? Une appréhension du monde traverse notre vie indépendamment de toute orientation thématique vers un objet : en elle, le monde nous est prédonné. La réflexion dévoile le milieu subjectif de notre expérience du monde en son essentialité propre pour moi et pour chacun des autres. De là, son identification comme le même monde grâce à l’interaction et l’intercompréhension dans notre expérience communautaire. Comme donné d’avance premier, nous trouvons les autres dans des communautés. Le monde, comme monde de l’expérience, provient des sujets : il est une formation d’unité idéale de la subjectivité communautaire universelle. Bien que le monde contienne tous les sujets, il est une unité constituée dans notre vie à tous.

Texte N° 6. L’Univers de la prédonation. (~1930) Ce à quoi nous avons prêté valeur dans des actes fondateurs est réactualisé dans des actes dont la visée est la même que celle des actes fondateurs. Les visées peuvent entrer en conflit et se substituer les unes aux autres, elles n’en sont pas moins toujours animées d’une intention d’être. Dans le cours de vie de chacun se constitue un horizon de l’étant qui est d’avance valide et d’une validité durable. La vie naturelle possède non seulement un univers présent de prédonnées valides, mais tous ses univers prédonnés sont traversés par un univers omnitemporel identique. Si changeante que soit la valeur de ce qu’il contient, l’univers de chaque période de temps présente toujours un univers objectif pour le sujet. Cet univers a une forme spatiale articulée en réalités individuelles qui s’encadrent dans une typologie catégoriale et régionale et qui sont liées ensemble en un réseau de toutes les réalités. Bien que cette typologie ne soit pas encore celle du monde en soi de la science, mais plutôt celle du “tout au monde” [Weltall] pour la vie naturelle, la science se fonde sur elle en la thématisant sous l’idée de vérité objective.

Texte N° 7. L’Historicité originaire du monde prédonné. (1932) Le monde de l’expérience diffère du monde conforme au concept de vérité de la science. Dans la vie quotidienne, quand je suis adonné à mes intérêts, le monde a pour moi une structure de prédonation. Le primitif n’a pas dans son horizon de monde quelque chose comme la culture scientifique, de sorte que son horizon subit une extension à travers la compréhension que nous pouvons en avoir par intropathie. Le monde se constitue comme monde pour tous à travers le développement de l’humanité. Bien que relatif à l’expérience de l’individu, le monde s’unifie et s’enrichit avec le progrès de la communication entre les individus ou entre les groupes d’individus : telle est son historicité primordiale. Le monde est (1) l’horizon ouvert d’expérience, d’un style préfiguré, de chaque sujet transcendantal ; (2) l’horizon ouvert imprévisible des styles de prédonation historiquement possibles. On ne peut pas dériver de l’intuition d’un a priori éidétique la variété des styles possibles de mondes familiers des différentes humanités, parce qu’ils ne sont pas dans un espace de jeu disjonctif, mais renvoient à la contingence de l’histoire et de l’anthropologie empiriques. Avoir un monde, c’est avoir un monde d’expériences possibles dans l’espace de jeu d’une infinité de possibilités d’être pour mon monde. Entre les mondes respectifs des sujets communicants se réalise une synthèse d’identification, qui fait de ces mondes les apparences d’un monde unique. Est évoquée la possibilité d’une ontologie du monde, comme monde d’expérience possible pour des hommes et des humanités en communication : une anthropologie a priori. La culture scientifique fait partie de l’expérience des vivants qui la comprennent, tout comme les autres formations culturelles de la vie pratique : la validité de ses objets pour un cercle d’hommes communicants repose sur la tradition et sur l’utilité en rapport à des buts.   

Texte N° 8. Le Monde vécu prédonné selon des types individuels et génériques familiers. (1933) La conscience du monde qui traverse notre vie éveillée inclut le Je et l’autre comme conscience de soi. Exemple de cette conscience du monde, tout ce qui est d’avance pour moi, quand je saisis un livre sur la table : la partie non vue de la chambre, une autre personne présente, les personnes que je connais personnellement, mon peuple. L’unité physique des corps diffère de leur unité comme organismes. Les unités familières de l’environnement. Les objets culturels : leurs propriétés culturelles sont des propriétés essentielles de leur contenu. La méthode scientifique, guidée par l’idée d’une nature en soi, renvoie à un identique non limité à la familiarité de l’environnement. L’objet familier y perd sa typicité familière ; mais dans la variation des types à l’infini le scientifique cherche à construire un style universel de familiarité, qui ne soit plus relative mais absolue, pour tous et pour toujours. L’objet culturel ne possède son sens d’être spirituel qu’en rapport à la typique individuelle. L’être-déjà de tout ce vers quoi je puis me diriger : voilà le problème ! Dans le changement de l’apperception de l’environnement se révèle la stabilité du monde vécu en sa structure de prédonation invariante. Préfiguration du système des expériences possibles du monde. On a toujours l’expérience d’un monde étant. Je retire la certitude de mon expérience du fait que les autres ont l’expérience du même monde que moi. Il faut élucider la structure noématique du monde, comme monde dans le comment de ses modes de donation.

II. La Structure d’Horizon du Monde : Texte N° 9. Les idées logiques de chose réelle et de Monde. (1932) Un réel singulier est une substance, sa détermination présuppose l’horizon du monde comme totalité des réels singuliers. L’être de chaque réel est un être par anticipation. La forme logique du substrat, comme totalité infinie de ses déterminations, est une production constructive de la logique, bien qu’elle prenne sa source dans l’anticipation de l’expérience. Chaque réel est nécessairement donné-et-prédonné, tandis que le monde n’est donné qu’à travers la transition d’un réel à un autre dans une expérience synthétique universelle. La détermination des réels dans leur horizon d’anticipation se réalise dans une expérience prélogique. Pour les scientifiques et les hommes adultes, les choses ont aussi un horizon logique de niveau supérieur : le concept du monde comme totalité des objets des opérations de la connaissance et du jugement. L’infinité se révèle paradoxale dès qu’on prétend la fermer et en faire une totalité : le concept de la totalité du réel individuel et le concept de monde se présupposent l’un l’autre. Ces concepts n’ont d’autre fondement de validité que la continuelle congruence de la saturation de nos présomptions de positions d’être dans l’expérience. Le style de l’expérience change dans la suite de l’expérience, mais son style antérieur n’est pas abandonné, il est élevé à un niveau supérieur. Ce changement de niveau rend possible l’intégration d’anomalies au style général du “monde normal”. L’Umwelt normal d’une personne s’élargit grâce au commerce avec d’autres personnes, peuples ou cultures, lesquels ont d’autres Umwelten, ce qui fait qu’un monde terrien unique devient normal pour l’humanité terrienne entière. La nature, cette présupposition de l’esprit objectif, est née comme idée de l’unanimité de tous les sujets d’expérience possible de la synthèse de tous les territoires possibles d’une humanité dans sa route via les étoiles. Pour l’homme, c’est une exigence absolue de former l’idée de l’humanité totale d’un monde total.

Annexe V. Conscience d’horizon et conscience thématique du Monde. (1933-34) Tout ce dont je m’occupe de façon thématique m’est connu comme étant “dans le monde” : j’ai toujours la possibilité d’élucider cette conscience d’horizon en une représentation explicite du monde. Tout étant singulier est pour moi dans une fluctuation entre être et non être, dans la mesure où ma certitude peut toujours être atteinte par le doute. Mais, je n’en reste pas au doute : la certitude du monde prévaut à travers la congruence de l’expérience, ou le rétablissement de cette congruence par correction. Le monde est en marche vers une certitude d’être totale. La progression de l’expérience a besoin d’une direction par une représentation anticipatrice [Vorstellung : Vor-sich-gestellt-Haben]. Je puis me construire une représentation du monde en le considérant d’avance dans ses possibilités. Quelle que soit l’ambiguïté due aux changements de l’environnement dans lequel je me le représente, l’identification de toutes ses représentations me laisse un acquis univoque. Cette représentation du monde est au fondement de toutes les sciences. Une question est de savoir si cette représentation explicite du monde (1) ne présuppose pas une expérience de l’ensemble des réels, laquelle ne peut se réaliser que de manière progressive ; (2) si elle ne renvoie pas plutôt de la considération thématique d’un réel à un fond d’expérience non thématique ; (3) si la considération d’un réel ne doit pas servir de tremplin pour le survol des autres directions possibles de l’expérience. Les choses étant pour nous objets d’expérience, se constituent dans des actes progressifs. Pour passer du monde comme horizon de l’expérience des choses au monde comme objet d’une expérience du monde, il faut une objectivation, une identification et une reconnaissance. La construction systématique du monde comme infinité des expériences possibles préfigure a priori les voies d’accès possibles à ce monde, soit : (1) le système kinesthésique, voie d’accès au monde primordial ; (2) l’intropathie [Einfühlung], système d’accès au monde non présent par l’expression corporelle et la médiation d’autrui. Platon, ayant publié des écrits adressés à ses lecteurs futurs, me parle directement lorsque je le lis.  

Annexe VI. Expérience du Monde – expérience de l’individuel. (1933-34) La causalité corporelle exercée dans la perception d’une chose passe inaperçue, comme s’il s’agissait simplement d’ouvrir le couvercle d’une boîte. La chose est constituée par les activités subjectives : le corrélat de son sens d’être est la subjectivité opérante. Le sens d’être de la nature a pour corrélat la méthode de poursuite systématique de sa perception. L’induction est la méthode de saturation des anticipations nous permettant de connaître les choses auprès desquelles nous ne sommes pas. L’horizon est la possibilité de poursuivre l’expérience jusqu’à une saturation dont la forme est projetée d’avance. Le monde n’est pas constitué comme un produit fini, son sens d’être est dans le flux constant de l’anticipation de validité et de la saturation de cette anticipation. Mais, comment est-il possible de prendre le monde comme thème d’expérience, si ce monde est l’horizon athématique précédant toute expérience ?

Texte N° 10. La conscience congruente du Monde en ses horizons intropathique et temporel. (1933) §. 1. La réduction au monde de l’expérience : Le monde est pour nous celui de l’expérience où nous vivons et où nous-mêmes sommes objets d’expérience. “Expérience” désigne le flux de la conscience du monde perçu, mais aussi mes consciences passées et celles de mes compagnons d’expérience, sans oublier les visées non intuitives. “Perception” désigne une conscience auto-donatrice, mais aussi l’objet comme en original ainsi que les modes de donation de cet objet (aspects, modalités, être ou apparence illusoire). Un processus de modalisation des perceptions du monde passées parcourt la vie perceptive du monde [das wahrnehmende Weltleben] : de ce processus le monde retire sa validité comme monde des perceptions non modalisées du présent. §. 2. L’horizon d’intropathie et la constitution transcendantale du monde commun : Ne vaut comme monde effectif que ce qui vaut aussi pour la perception d’autrui. Mon présent de conscience a comme horizon le passé de ma vie immanente, comme ce que je puis réveiller pour, de là, faire retour à mon présent. Mes perceptions particulières forment un tout dont elles sont des moments dépendants, ce tout est la perception du monde. Mon présent de perception implique un horizon d’intropathie avec la vie de conscience d’autrui, grâce à quoi je pénètre le flux de vie d’autrui et, de là, indirectement, les horizons d’intropathie d’autrui, in infinitum. Dans cet horizon synthétique total, dont l’horizon synthétique particulier de ma temporalité immanente ne se détache que par abstraction, un présent intersubjectif se constitue. Dans l’unité ainsi réalisée du flux de la perception du monde, celui-ci vient à être perçu comme notre monde à tous. §. 3. Modalisation de la conscience du monde : Le passé immanent n’a pas une certitude fixe : il peut être raturé ; tandis qu’il est absolument certain que j’ai eu une vie passée et que je puis la retrouver en pénétrant dans l’horizon latent de ma mémoire. L’unité de ma vie se constitue dans l’horizon du passé et du futur avec le sens d’une congruence toujours rétablissable par correction rétrospective des illusions. À mon présent vivant appartient l’intropathie qui transcende ce présent de ma propre vie vers la vie d’un autre sujet, ceci de la même façon que mon présent implique le sens d’être de mon passé. §. 4. L’horizon d’intropathie comme horizon de validité : Il y a transcendance dans l’implication de l’autre en mon être. Tout en étant celui que je suis, je porte en moi un autre qui est inséparable de celui que je suis. Variété ouverte à l’infini des horizons d’intropathie des autres dans mon horizon propre d’intropathie, immédiate ou médiate. Entrelacement des fonctions de transcendance dans la vie transcendantale de la subjectivité constituante du monde.  

Annexe VII. La théorie de la structure d’horizon de l’expérience du monde. (1933) La structure d’essence du monde comporte (1) le champ de perception (2) l’horizon extérieur, potentialité de pouvoir progresser d’un environnement d’expérience à un autre. L’éveil actuel implique tous les éveils possibles jusqu’à une limite d’éveil nul. Le progrès de l’expérience consiste en ce que les intentions de l’horizon extérieur, c’est-à-dire les éveils, viennent à saturation [Erfüllung]. Le lointain devient proche et le dernier degré d’éloignement devient le précurseur d’un lointain plus éloigné. La structure immanente du flux d’expérience, comme modes subjectifs de la donnée du monde, est une certitude constante. Le champ de perception est un flux continuel d’éveil de ce qui précède l’éveil dans son intention d’horizon. Nous devons notre savoir de cette structure à notre capacité d’alterner l’attitude primordiale et la réflexion.

Texte N° 11. Prédonnée et horizon. (1933) Dans la thématisation d’un réel, un privilège revient à ce qui est corporel. Un homme doit d’abord être apperçu comme corps, afin qu’en une explicitation plus approfondie soit reconnue la personne qui règne dans ce corps. La présentation de la corporéité est fondatrice pour le subjectif : que signifie donc cette fondation ? Le réel concret est d’abord simplement donné en un mode de donnée implicite où la stratification de son sens d’être est encore non déployée. L’affection est à rayon unique [einstrahlig], elle laisse l’objet d’arrière-fond non explicité. C’est seulement lorsque l’orientation vers l’objet devient explicitation que ses déterminations sont dégagées et que se manifeste son sens d’être. Cette explicitation est régie par la visée de sens. Les modes de donnée sont les valeurs d’être pour des teneurs d’être quelconques. Ex. l’être en original de la chose qui se présente dans le champ de perception. Le champ mnésique a également son premier plan et son arrière-plan. De cet arrière-plan pour la conscience il faut distinguer l’inconscient [das Unbewusste], qui est l’horizon non intuitif des réels covalants dans les modes de validité de l’intentionnalité mnésique, un domaine d’éveil, d’affection et de réactivation possibles. La prise en compte de cet être doué d’une validité inconsciente et non intuitive dans la sphère d’horizon ne peut se faire qu’à partir du champ d’expérience intuitif. Le mode de la donation s’étend à tout ce qui peut émerger du dévoilement de l’horizon. Dualité de l’horizon : (1) l’horizon interne de l’objet est le tout des moments progressivement explicités d’un réel, moments qui constituent son aspect perçu ; (2) dans les horizons extérieurs les objets concrets reçoivent “du dehors” leurs déterminations de sens. À cette base de la théorie de la prédonation du monde manque encore la constitution du monde en rapport avec l’intersubjectivité et les humanités mutuellement étrangères avec chacune son monde prédonné. 

Texte N° 12. L’expérience d’un réel. (1932) §. 1. L’expérience d’une chose comme expérience congruente du substrat : Par présentation de soi [Selbstdarstellung] d’une chose nous entendons sa présentation incontestée. Toute visée de chose qui n’est pas présentatrice de celle-ci renvoie à l’intuition [Anschauung] de cette chose. L’expérience “comme si”, pour laquelle il n’y a pas de décision entre l’être et le non être, est une modification de l’expérience [Erfahrung]. Dans l’horizon d’apperception, la question de savoir si ce qui a déjà été présenté présente la chose elle-même est suspendue à une anticipation. Dans la certitude d’être de l’expérience, je tiens compte du fait qu’une extension de sens pourra toujours venir de l’expérience future. Tout progrès dans l’expérience conserve l’identité de l’étant. Il faut nous enquérir d’une structure de généralité qui mette en évidence la forme essentielle de cette production d’identité dans l’extension de l’expérience. Au lieu de la solution de continuité de l’expérience qui pourrait être entraînée par la biffure d’être du doute, on a la structure d’identification continue d’une expérience congruente. Un objet, d’abord uniformément rouge, apparaît par la suite comme seulement tacheté de rouge, en dépit du fait que sa propriété de rouge uniforme était de bon aloi : Qu’y a-t-il dans mon expérience qui lui procure cette identification à travers le changement ? En fait, le changement n’a de sens pour l’expérience que comme changement de l’inchangé. Comme substrat progressivement explicitable, la chose dont on fait l’expérience est ce qui perdure identiquement. L’extension d’expérience où les propriétés se prêtent à une telle identification ininterrompue donne l’être-ainsi originel de la chose. Tout changement de l’expérience est soumis à des conditions essentielles de continuité : une couleur ne se change qu’en une autre couleur, et pas en une saveur ni en un son, etc. Mais, comment se fait-il que je puisse faire l’expérience de la chose comme identique, en dépit du fait qu’elle peut toujours changer dans le cours ultérieur de l’expérience ? §. 2. La structure d’horizon pluridimensionnelle de l’expérience de chose : La visée d’une chose possède un horizon ouvert d’expériences possible de la même chose qui s’étend au-delà de ce dont on a l’expérience propre. Cet horizon est structuré selon l’ordre de l’implication directe ou médiate des expériences en question. En cette implication d’horizon se trouvent continuellement impliquées d’avance de nouvelles médiatetés d’implication, ce qui donne une implication infinie de possibilités disjonctives d’expériences éventuellement réalisables. En tant que le sujet d’expérience effectif, je puis m’assurer de l’existence de cette totalité systématique en esquissant ses parcours d’expérience possibles dans des intuitions présentifiantes. Un réel ne peut être objet d’expérience qu’en une variété [Mannigfaltigkeit] d’objets, une configuration de réalités avec son double horizon rétentio-protentionnel. Ce dont nous sommes d’abord conscient sur le mode de la donation de soi, c’est l’étant spatial : la structure de base [Grundstruktur] de l’expérience est la spatio-temporalité universelle. L’apperception d’un réel est inséparable de la configuration du champ d’expérience total qui lui donne forme.

Texte N° 13. L’horizon spatio-temporel total du Monde et sa forme invariante. (1931) Le monde est prédonné à toutes mes occupations. Dans la réduction, je mets ce monde entre parenthèses en thématisant mes modes de conscience de façon exclusive. Le monde tout entier fait partie de ma prédonation. La corrélation subjectivité – monde doit d’abord avoir été acquise pour que la question de sa genèse puisse être posée. Dans l’horizon du monde, la forme spatio-temporelle d’un objet corporel est constamment anticipée. Tous les objets coexistants se rangent dans l’espace infini, lequel est toujours donné dans l’expérience comme horizon ouvert. La forme effectivement prise par un objet est l’une des formes d’avance possibles. Les libres possibilités de l’inconnu ont beau être ouvertes, elles n’en sont pas moins liées dans un système des possibles [das System von Möglichkeiten] qui a une forme invariante. Le monde est homogène au point de vue spatio-temporel. La spatiotemporalité est la forme totale infinie de toutes les formes possibles de réalités individuelles pouvant coexister dans le monde. En considérant le monde donné comme un pur monde possible, on obtient l’eidos “Monde” comme essence invariante : la forme spatio-temporelle doit encore lui appartenir. Mais la forme du monde existant en fait ne s’obtient pas par une simple variation eidétique ; elle s’obtient plutôt en prenant conscience des possibilités d’expérience ouvertes par ce qui nous est effectivement donné : en guise de forme, ces possibilités ont leur style d’espace de jeu [Spielraum-Stil]. La spatiotemporalité d’horizon anticipée n’est pas une succession ni une simultanéité vides, elle est plutôt la règle de formation et de transformation qui lie universellement et nécessairement les possibilités finies à un style de forme commun. 

Annexe VIII. La constitution du Monde prédonné. (1934) “Le savoir de l’être du monde” (Heidegger, Sein und Zeit) est une formule ambiguë qui renvoie tantôt à un jugement actuel, tantôt à un savoir présupposé en chaque expérience d’objet individuel ou de pluralité d’objets. Lorsque j’ai l’expérience d’un objet individuel, comment est-ce que je sais “a priori” qu’il y a un plus ? Il est indubitable que toute expérience a son horizon : toute expérience s’étend en un enchaînement continu d’expériences individuelles unifiées de façon synthétique en une expérience unique. Il y a stratification des horizons en inclusion réciproque en une structure d’horizon complexe renvoyant à une première perception de la même chose. Chaque chose réelle renvoie à la nature spatiotemporelle, qui renvoie à la nature physique, qui renvoie à la nature psychophysique. La structure intentionnelle de l’horizon d’ensemble est telle que toute expérience a son noyau d’actualité et son horizon de préfiguration. On doit pouvoir thématiser le tout de l’horizon dans une expérience de niveau supérieur. L’horizon est une anticipation de congruence. Du monde, nous avons une certitude qui n’est pas modalisable, pace qu’elle est le sol apodictique de toute modalisation. Dans la mise au jour de cette structure de validité congruente du monde, ressort le thème fondamental de la subjectivité, comme totalité du subjectif. Cette subjectivité est intersubjectivité, car je n’éprouve pas l’autre sujet comme objet du monde, mais plutôt comme co-sujet. Pluralité des Umwelten subjectifs individuels. Le monde pour moi est monde grâce à autrui, – mais il n’y a pour moi les autres que grâce à mon expérience propre : tous les horizons subjectifs vont ensemble et s’interpénètrent. De même il a mise en commun des horizons de toutes les formes de communauté. Déployer systématiquement la structure d’horizon, c’est déployer l’intentionnalité dans laquelle le monde est constitué.   

Texte N° 14. La conscience universelle du Monde comme perception du Monde. (1932) « − Le monde, comme monde de l’expérience, quel thème épineux ! » Le monde se présente dans la synthèse de congruence des apparitions de la vie de conscience. Chaque remémoration se rattache à la perception présente, en tant que dévoilement de l’horizon intentionnel de celle-ci. Chacune de mes perceptions du monde implique en son horizon une vie éveillée étrangère : vie d’hommes ou d’animaux. La synthèse des perceptions primaires, secondaires et tertiaires (intropathiques) dans ma perception totale sauvegarde une certaine identité [Selbigkeit]. Cet horizon en constante formation implique la mutualité avec l’autre, la communication et la participation à l’action commune dans des liens sociaux. L’intuition des possibilités de l’expérience ne consiste pas en “représentations” sans valeur particulière, mais plutôt en des perceptions qui ont valeur d’être. Pas de barrières entre perceptions et pensées, ni entre significations verbales et formations théoriques. Le monde contient aussi les pensées : non seulement leurs expressions corporelles, mais aussi les significations identiques de ces expressions “qui ne flottent pas dans l’air”. Les formations de pensée possèdent leurs propres mode de manifestation subjectifs – fondation originaire et réactivation – qui sont des perceptions, même si elles ne sont pas corporelles. Tout ce qui est apparition et s’oppose aux objectivités entre dans une synthèse subjective universelle centrée sur le pôle sujet. Dans l’attitude naturelle, tous les vécus ont le caractère de perceptions du monde. Mon psychisme est perception du monde, et lui-même mondain. L’intropathie comporte une réflexion du corps étranger en mon propre corps : il faut intégrer à l’expérience du monde cette réflexion et son itération indéfinie dans l’intercompréhension. La perception du monde de chacun est intersubjectivement accessible comme du psychique pour tous.   

Texte N° 15. Visée d’horizon et induction originaire. (1934) Toute expérience comporte une induction, c’est-à-dire un mode d’inférence qui renvoie à une anticipation originaire, laquelle vise au-delà du noyau de l’actuelle donation tout en gardant la modalité donatrice de la saturation perceptive. La synthèse des faces latérales de l’objet n’est pas un développement en série, ni une intégration, mais plutôt une prorogation de validité dans l’axe d’une identité de sens. À chaque phase d’expérience se forme un nouvel horizon dans la continuité d’implication mutuelle de l’intentionnalité. Tout déterminé est dans un horizon d’indéterminité. La certitude est le mode normal auquel renvoient toutes les modalisations : la perception est le noyau de l’horizon du monde. Le problème est que tout en préfigurant certaines différences, l’horizon total progresse toujours vers de nouvelles différenciations. Le sens d’être de la chose se détermine dans un horizon d’anticipations mouvantes et dans la progressive saturation de ces anticipations. De l’être de la chose nous pouvons aussi avoir une intuition en pénétrant intuitivement l’espace de jeu de ses possibilités.

Annexe IX. Apprésentation et présentation. (1932) La perception d’une chose est présentation, dans la mesure où quelques-uns de ses composants sont donnés “en chair et en os” [leibhaftig]. Eu égard aux composants invisibles, autrement dit vides, la perception devient apprésentation. Un objet transcendant ne peut être présenté qu’au moyen de l’apprésentation. La distinction présentation – apprésentation vaut également pour la perception de l’Umwelt : le monde entier avec son présent, son futur et son passé indéterminés, se constitue par apprésentation des choses existantes, mais non vues.

III. Les structures d’orientation et de situation du monde quotidien. Texte N° 16. Orientation et Praxis d’accès. (1925) Le monde est orienté selon le proche et le lointain, mon corps étant l’objet-0 de la proximité absolue. Le tout du monde de l’expérience possède son horizon pratique d’expérience possible, dont le sujet peut réaliser les possibilités. Chaque changement d’orientation du corps propre [Leib] par rapport au monde signifie un mouvement réel du corps propre, qui se montre comme tel quand on regarde le corps propre pendant son mouvement subjectif. Le corps propre est un objet réel qui conditionne par son mouvement subjectif les changements d’orientation du reste du monde. L’autre est sujet du même monde avec le même système d’orientation que moi, sauf que par rapport à ce système son orientation du monde diffère de la mienne : ses choses proches sont pour moi choses lointaines, etc. Nous avons un monde pratique commun. Nos expériences sont interchangeables du fait que je puis toujours me rapprocher de ce qui est donné à l’autre de manière à percevoir la même chose dans une commune sphère de proximité. Notre expérience commune du monde est telle que les choses sont intersubjectivement identifiables, par rapport à l’environnement nous pouvons prendre des orientations identiques, et que la particularité du système d’orientation de chacun n’empêche pas qu’ils aient une sphère de proximité commune. Nous avons tous le même présent, mais la chose présente a une orientation spatiale différente pour l’un de ce qu’elle est pour l’autre. Le temps réel identique et éprouvé comme identique est issu du changement de l’orientation temporelle. Chacun peut réobtenir comme le même le réel passé dont il a eu l’expérience. La possibilité pour chacun d’éprouver un réel dont il n’a pas eu l’expérience repose sur le présupposé de normalité en vertu duquel nous avons l’expérience du même Umwelt. L’être réel ne peut pas être exposé à la contradiction. Mais, il n’est pas impossible qu’un monde réel commun n’ait pas plus qu’une couche de choses réelles qui soient identifiables par chacun. Il n’y a pour moi de praxis rationnelle que si j’ai un monde avec des choses aux propriétés accessibles sur lesquelles je puisse compter. Un daltonien et un sujet normal n’ont pas en commun le domaine des couleurs ; néanmoins, ils peuvent coordonner leurs expériences respectives en une expérience commune au moyen de leurs énonciations.  

Annexe X. L’Umwelt orienté. (1935) À chaque mode de subjectivité son monde orienté : dans l’orientation de soi, le pivotement sur place à partir du repos ramène les choses du champ perceptif initial ; pour le “nous” comme famille, le lieu fixe est la maison ; la ville (Fribourg) est centre d’orientation pour celui qui y fait halte comme pour celui qui y vit depuis l’enfance. Pour la tribu, le monde est son pays ; les pays des différentes tribus prennent place dans un monde partagé du commerce mutuel. Quand on s’oriente par rapport aux directions célestes, un pivotement sur place fait parcourir les diverses directions de l’espace. Un monde d’expérience normalement stable est le présupposé de l’orientation : le changement peut concerner individuellement les choses à conditions qu’elles restent identifiables. Mon corps propre en position fixe détermine le lieu et le mouvement des unités d’apparition dans mon champ visuel. L’entrée en jeu des kinesthèses détermine la synthèse de mes divers champs d’expérience en un champ d’expérience pour des unités de niveau supérieur. Un Umwelt perceptif se constitue grâce au pouvoir d’“aller toujours plus avant” : ma chambre, le ciel au-dessus de moi, la terre sous moi, le soleil… Pour le primitif l’Umwelt est intuitivement constitué comme orienté autour de lui-même.  

Annexe XI. Pays natal [Heimwelt] et territoire. (1934) Umwelt : le monde où l’homme est chez soi [heimisch]. À la base l’homme est dans son chez soi au sens étroit : sa caverne, sa tente, son désert, sa forêt primitive, etc. Il y est comme sujet de la vie qui lui est “accordée” ou que le destin lui a “infligée”. Le pays natal a une structure, au sein de laquelle les personnes sont “fonctionnaires” : le père, la mère, structure qui s’articule en foyers privés. Au-delà s’étend le monde ouvert à l’infini, comme pays de personne [Niemandsland]. Chaque pays natal est le territoire d’une humanité indigène, sédentaire ou nomade. L’homme peut ne pas se contenter de prendre son Umwelt comme il est et le dominer volontairement pour en retirer satisfaction comme homme, sujet pratique. Évocation d’une méthode de vie faite de conscience de soi, de critique et de décision volontaire.

Texte N° 17. L’orientation de la compréhension. Le Monde natal et l’étranger. §. 1. L’homme comme thème : Un homme a des modes de comportement typiques qui permettent de le comprendre. Le défaut de familiarité avec la typique d’un environnement étranger fait obstacle à la compréhension. C’est dans mon Umwelt familier que je puis me proposer de connaître les choses et les personnes comme elles sont en vérité. Nos apperceptions respectives sont entre elles dans une liaison synthétique telle que chacun peut acquérir celles des autres comme déterminations plus précises des siennes, au sein d’un univers de familiarités aperceptives diversifiées. Ex. le savoir du paysan pour le citadin que je suis. Mon monde [Welt] s’étend plus loin que mon Umwelt familier : il contient des étrangers que je ne puis comprendre que comme hommes d’un Umwelt qui leur est propre et qui diffère du mien (les Chinois). Dans un même Umwelt l’unité de la tradition permet de pallier les incompréhensions entre les professions par une assimilation des typiques non familières : ex. la condition militaire. Pour comprendre les Chinois il faudrait avoir été éduqué dans leur monde chinois de façon à en avoir acquis l’aperception en ses horizons de passé et de futur. Dans le cours de la vie humaine avec sa nécessaire mise en commun, le monde se donne un sens familier à partir d’aperceptions toujours nouvelles. Chacun n’est conscient du monde unique et identique que dans la figure de son pays natal. Le monde est pour chaque personnalité le champ universel de sa praxis, domaine de ses disponibilités [Vorhandenheiten] où se déroulent ses actions. §. 2. Religion et science : La percée [Einbruch] de l’idée pratique de “science” dans l’histoire de l’humanité : un projet, des buts inédits conçus par des personnes individuelles mais poursuivis en commun sans fin. Un intérêt pour l’individuel au service d’une connaissance universelle, quelle que soit la spécialité des personnes. La communauté philosophique, porteur de l’intérêt universel. Un autre projet universel : la religion universelle fondée sur le Dieu unique pour le monde entier et pour tous les hommes, un système d’exigences normatives pour les hommes comme tels, purement et simplement. Le Dieu unique, qui est purement et simplement Dieu, est le corrélat de l’homme pur et simple. Une éthique pour l’humanité qui transcende tous les peuples, – terriens et martiens. En son universalité abstraite, une telle forme pure laisse indéterminé le comportement des hommes dans leur Umwelt. La philosophie, voie vers Dieu qui ne passe pas par la révélation, voie anhistorique et athée. §. 3. L’étranger : Une certaine compréhension de l’étranger est possible par transfert des aperceptions de mon pays natal ; mais il est douteux que ce transfert restitue l’expérience propre de l’étranger. Pas de conflit tant que la reconstruction que cela implique se fait à partir d’un noyau de compréhension commun. Mais, dans le monde natal, il n’y a pas de séparation entre le mythique et le non mythique. Notre connaissance du primitif n’est pas une science objective à l’état nu, mais plutôt une conception typiquement européenne formée dans l’horizon de l’Umwelt européen. Le projet de science universelle est aussi une acquisition de ma vie [Erwerbe meines Lebens]. §. 4. L’objection de relativité historique : Contre l’idée d’une divergence radicale entre les visions du monde des diverses humanités : il est absurde qu’il puisse y avoir contradiction insoluble entre l’univers de ma vérité et l’univers du connaissable d’un autre sujet inclus dans mon propre univers. Non seulement je puis avoir accès à la vérité de l’autre, mais je peux aussi confronter mon “monde” avec le sien de façon à atteindre par le biais de la critique une vérité universelle. Les différents mondes natals forment une variété [Mannigfaltigkeit] dont l’unité intentionnelle est le monde vrai qui se présente à travers eux. La compréhension s’élargit grâce au commerce [Im Verkehr erweitert sich das Verstehen]. En communauté nous progressons les uns à l’aide des autres dans la connaissance du monde. Une science descriptive de l’Umwelt est possible dans l’évidence de la pratique familière des choses et des personnes et de leur identification par types individuels prédonnés.     

Annexe XII. L’horizon de situation du Nous. (1933) Avec mes compatriotes je suis simplement dans le monde où nous vivons ; du même monde font partie des étrangers que nous comprenons aussi dans le “nous”. Il appartient au sens d’être du monde natal que les étrangers se le représentent avec un autre sens d’être que nous. Le monde est sol de validité de la vie éveillée. Le monde et la personnalité sont en corrélation. La personnalité se stratifie en un “nous” provincial, national et européen. Ex. La disposition d’esprit alémanique. 

Texte N°18. Monde proche – monde lointain. (1933) La sphère de proximité est le monde des choses perçues et anticipées comme conséquences causales conformément à la typologie des choses perçues. Ex. la chambre d’enfant. L’Umwelt contient ce qui est accessible à chacun, avec ou sans connexion directe. Chacun a sa sphère d’expérience limitée, mais “pourrait” connaître l’Umwelt entier, une capacité qui repose sur le présupposé de la contingence des lieux, des directions prises, de l’héritage parental, etc. L’État, en tant que personnalité supérieure, a son territoire et de plus une “Nature”, horizon d’inconnu apperçu par analogie avec le territoire. La clôture relative de la vie populaire assurée par la tradition, les récits et les mythes, n’empêche pas que son extension est toujours possible par intégration d’événements inhabituels.

Texte N°19. Spatiotemporalité de l’horizon du Monde. (1932) La vie est un processus dans l’ensemble congruent à soi [im Ganzen einstimmig]. Elle s’articule en les actes d’un sujet éveillé et le champ de perception qui est son sol de certitude. Le temps du monde est la forme de l’être permanent. La déterminité spatiotemporelle n’est pas quelque chose de changeant parce qu’elle appartient à l’être même du réel : chaque chose réelle a son extension finie dans le continuum du temps. Tandis que le continuum spatial est la forme identique des coexistants simultanés à travers toute succession, autrement dit la forme du Monde. Au point de vue ontique, il n’y a pas de temps vide, ni d’espace vide. L’orientation temporelle et spatiale est le subjectif premier. Le Monde est monde de tout le monde [Jederman]. Chaque “nous” a sa place [Wir-Stelle], son territoire et son Umwelt : l’Allemagne. Je suis constamment auprès de mon corps propre : cela fait partie de la structure de mon orientation subjective. Chaque subjectivité communautaire est une forme de coexistence unitaire. Le temps objectif commun est constitué à partir de l’uniformité du flux temporel pour moi et pour un autre sujet. Fixité de l’ordre de succession temporel et de l’orientation par rapport au présent-passé-futur ; arbitraire du changement d’orientation spatiale par le mouvement.

Annexe XIII. Constitution du Monde orienté. (1934) D’après la conception déterministe, le monde est une variété définie [definite Mannigfaltigkeit] où toutes les assertions peuvent être fondées, immédiatement ou médiatement. La constitution aperceptive du monde est une méthode constructive dont la base est l’anticipation-induction de l’expérience possible en conformité avec une typologie. On distingue l’induction interne de l’induction dans l’horizon externe. Dans l’Umwelt intersubjectif, les inductions se vérifient de deux façon : d’une part, par l’activité propre du “y aller” et du percevoir, d’autre part, par l’assomption de l’expérience d’un autre sujet grâce à la communication de ses expressions. En un changement continuel, les vérifications partielles de la perception font place à de nouvelles inductions, de sorte que la congruence de l’expérience totale décide des discongruences locales. L’induction a ses limites : la Terre, indépendamment de tout territoire humain, les abîmes, les phénomènes célestes comme faits de la Nature. Le monde terrestre est d’abord l’Umwelt de mon peuple, de là, il est aussi le sol terrestre auquel la vie humaine prête une corporéité “infinie” en une expérience itérative. Sont à enregistrer comme autant d’étapes de la constitution du monde : le détachement des corps fermés par leur mouvement dans un espace libre (comme les oiseaux en vol) ; la séparation de l’air et de l’espace ; l’apperception de la Terre comme corps et de tous les chemins terrestres comme revenant au point de départ ; la détermination de l’espace terrestre comme lieu des corps solides et liquides. Le ciel n’est pas vu d’abord comme corporel : pas d’intervalle “entre ciel et terre”. Néanmoins, chaque corps en mouvement recouvre une portion de surface céleste. Le Soleil et la Lune ne sont pas apperçus comme des corps lointains parce que les apparences lointaines n’ont de sens que comme modifications d’apparences proches. Les faits célestes forment d’abord une sphère de faits à part ; tandis que le monde de l’expérience est toujours déjà constitué comme monde terrestre.

Texte N°20. Les structures de l’être-en-situation mondain. (1932) §. 1. L’emboîtement [das Ineinander] des situations : Dans la vie scientifique, le progrès de l’expérience se déploie sur un sol d’être [Seinsboden] dont la forme universelle est d’un style familier. Cet Umwelt empirique s’articule en situations pour nos activités, en particulier l’activité d’éclaircissement des questions sur ce qui est en vérité. Il n’y a pas de vérité définitive, parce que l’indubitabilité repose sur la sûreté de la situation fondatrice. Avec le changement des situations, l’étant individuel change de sens d’être sans que la vérité de la situation nouvelle entraîne la fausseté de la précédente. Est tenu pour un être et un être-ainsi ce que nous tenons dans notre co-humanité pour bien fondé en rapport à un monde identique à travers la variété des vérités de situation. Ces vérités de situation sont des vérités pour des sujets qui ont la perception des objets par leur face avant et l’apperception des mêmes choses par renvoi du lointain au proche. L’expérience des objets varie aussi en fonction de l’orientation de l’attention et des modes de l’affection. La teneur de sens de la situation varie en fonction du rythme des activités éveillées de la journée de travail. Ma situation concrète ne dérive son sens que de l’enchaînement [Verkettung] des situations simultanées et successives au sein d’une conscience d’horizon. Ex. le sens que prennent les choses en fonction de leur pertinence et de leurs possibilités pratiques le matin d’une journée de travail au bureau. §. 2. L’horizon du monde civil normal : Ma situation de citoyen a comme sens d’horizon l’unité de l’Umwelt citoyen, un sens commun à tous mes concitoyens. Elle présente un style de normalité familière de toute la vie avec sa périodicité, hebdomadaire, annuelle, etc. Les situations se distinguent en situations privées et collectives : fonctionnaire dans une entreprise, laquelle perdure à travers le changement des fonctionnaires. Toutes les situations sont dans une connexion [Zusammenhang] intersubjective, telle que le sens de ma situation est pratiquement déterminé par la situation d’autrui. Le style de la vie normale du citoyen ressort de toute ma vie (mon état, ma profession), tandis que d’autres types se situent hors du monde normal (la misère, le vagabondage). Le style normal du monde quotidien [Lebenswelt] peut être altéré par des anomalies : séisme, inondation ; mais sont à leur tour comprises dans la normalité grâce à la façon normale dont on y réagit.  

   Texte N°21. Le Monde situation totale. (1932) La science n’a en vue que l’intérêt pour l’être et l’être-ainsi ; mais le jugement se tient dans l’Umwelt de la vie préscientifique et dans les limites de l’intérêt pratique. La variation de la praxis permet à l’intérêt pour l’être vrai (intérêt théorique) de se placer au-dessus des divers intérêts pratiques. Cet intérêt pour l’être vrai n’appartient pas par essence à la praxis, mais relève plutôt de l’intention de connaissance. C’est au monde traditionnel, comme acquis de la communauté, que s’ordonne la situation pratique. Elle doit son sens d’être à mes compagnons d’humanité en vertu de la détermination réciproque qui se réalise au sein d’une tradition. Chacun a son “image du monde” [Weltbild], mais le type „Lebensumwelt“ est commun à tous : un objet possible pour une Anthropologie générale. La situation totale détermine toujours déjà le sens des situations particulières, un sens et une vérité non théoriques. Le progrès de l’expérience révèle l’existence d’autres humanités, qui ont chacune son Umwelt respectif. Ces Umwelten ne sont pas des fragments du monde “vrai”, mais ils possèdent un noyau commun avec notre monde que l’on peut dégager grâce à l’interaction et la compréhension mutuelle.

Annexe XIV. Situation pratique et phénomène perceptif. (1932) La perception comporte un horizon et un optimum de saturation, variable selon l’intérêt de la situation. L’intérêt théorique est l’intérêt pour l’étant pur et simple : l’identique à travers le parcours possible des apparitions jusqu’à l’optimum absolu. L’expérience du monde dans la vie subjective et intersubjective est hiérarchiquement stratifiée avec unités substrats inférieures et pôles de validité supérieurs. La déconcertante expression “vérité de situation” renvoie à ce système de la vie constituante. Même dans l’intérêt théorique je suis en situation, parce que le Je et le Nous sont toujours centres d’orientation pour le monde.

IV. L’apodicticité du Monde : Texte N°22. Le style de validité de l’expérience du Monde. (1926) Au fondement de l’indubitabilité de fait de l’existence du Monde, il y a l’expérience, comme mode d’accès à celui-ci : Je me persuade que je puis me rapprocher de la chose pour en voir les autres côtés. La congruence des expériences acquises par des voies d’accès arbitraires est la preuve de l’existence de la chose. La méthode est apodictique, parce qu’il n’y en a pas d’autre possible ; mais elle ne procure p

as une certitude apodictique, parce que je puis toujours me tromper. La congruence de l’expérience de la chose est la forme ontologique a priori de toute saturation possible. Chaque anticipation comporte une infinité d’autres anticipations emboîtées. Mes mouvements d’accès dépendent du système des kinesthèses : « Je peux, si je veux ». L’indubitabilité de la confirmation des anticipations est seulement empirique ; tandis que la certitude de l’engendrement des nombres dans la série numérique à partir de 1 est apodictique. Il est subjectivement impossible de croire que la chose n’est pas quand la congruence de l’expérience montre qu’elle est. Même style de congruence pour l’expérience active qui vise la confirmation et pour l’expérience passive antérieure. L’apodicticité de l’existence du Monde est relative à moi et à ma vie actuelle et il n’y a pas d’autre existence du Monde que cette existence temporaire et relative au sujet ou à l’intersubjectivité. Le futur infini du Monde n’est rien qui puisse avoir un sens sans relation à mon présent ou à un présent. Le Je seul est l’étant vraiment apodictique et irrelatif. La chose n’est ce qu’elle est que comme unité d’une variété infinie de vérifications possibles selon un style d’anticipations que préfigure la donnée initiale de cette chose. Toute expérience autorise une infinité de voies possibles de saturation. La chose, individuellement prise, est dans un horizon d’autres choses qui fixent des limites à ses possibilités de saturation. Une loi universelle est prescrite à l’ensemble des phénomènes connaissables. 

Annexe XV. L’anticipation apodictique de l’être du Monde dans l’expérience. (1925) L’epoché de “l’avoir-un-monde” dégage son “valoir-pour-moi”, qui renvoie à l’anticipation du sens d’être “Nature” dans une évidence présomptive à confirmer dans le cours ultérieur de l’expérience. Cette évidence de l’anticipation n’est pas une évidence pure et simple. La seule certitude absolue est que le Monde est prévisible [voraussichtlich]. Tel est le sens phénoménologique de la théorie cartésienne de la possibilité du non être du Monde et de la certitude du sujet de l’expérience. L’âme humaine est l’ensemble du “psychique”, le substrat réel des propriétés réelles sous-tendant les vécus. La personne comme sujet n’est pas elle-même un vécu, mais la forme d’unité appartenant à l’âme. Ne sont pas psychiques les unités intentionnelles qui doivent s’attester dans des variétés. La vie naturelle vit dans la certitude du Monde sans rien savoir de son sens d’être. Quand le phénoménologue s’observe comme homme dans l’attitude naturelle, le sens d’être du Monde lui est dévoilé à partir des sources transcendantales. La certitude du Monde possède l’apodicticité historique de ce qui dépend de la congruence de l’expérience d’un vivant.

Annexe XVI. L’expérience du Monde normale présupposition de l’anomalie de l’apparence. (1925) Est-il vrai que l’existence du Monde soit apodictique ? Le réveil des horizons de passé de mon présent implique la synthèse des mondes valides du passé en un seul et même Monde moyennant la suppression des mondes incompatibles avec l’actuel. La transition : chose valide – simple apparence est rendue possible par une rupture de la continuité de validation ontologique dans la poursuite de l’expérience perceptive d’une chose comme dans le réveil des champs de perception passés. Le style d’une expérience “normale” du Monde est le fond sur lequel l’anomalie peut se détacher. L’apparence ne peut pas concerner le champ total présent. La biffure de l’apparence se réalise par correction rétrospective de la durée correspondante et par reconstitution d’un présent de réalité unitaire. L’apparence apparaît comme biffée jusques et y compris dans la remémoration ; tandis que le Monde est toujours là : seul ce qui est en validité est intéressant. La constitution d’une durée saturée s’étendant jusqu’à l’horizon indistinct du révolu repose sur notre pouvoir de réveil et de correction rétrospective.   

Annexe XVII. Deux Mondes pour un Je. (1923) Le Monde congruent de l’éveil est éprouvé comme le même par delà l’interruption du rêve et du monde, en lui-même congruent, du rêve. Je puis transformer en imagination le monde actuel en un autre monde congruent possible. L’essence d’un monde en général est le résidu de toutes ces transformations possibles. Un même sujet peut-il sans conflit se souvenir de ses expériences en deux mondes différents ? Jusqu’au point de rupture j’ai ce corps-ci, point-0 d’orientation de mon Monde ; à partir de ce point de rupture j’ai un autre corps, point-0 autour duquel j’ai un autre Monde : où est la difficulté ? Tout ce qui se présente de façon congruente dans mon expérience appartient à un monde unique. Si le cours de l’expérience est congruent avec les nouvelles choses, je dois biffer comme illusions les choses antérieures. S’il redevient congruent avec l’expérience passée, c’est ce même intervalle de choses nouvelles qui doit être étiqueté “illusion”. Si, enfin, l’alternance est périodique, alors je n’ai pas deux mondes, mais plutôt deux phénomènes de monde avec une régularité fixe qui me permet de m’orienter. Ne puis-je pas dire : « Il y a deux mondes différents en une forme spatiotemporelle unique, deux mondes qui s’excluent l’un l’autre pendant la durée où ils sont en désaccord, mais qui sont mutuellement congruents si l’on prend en bloc leurs retours périodiques ? ». Deux horloges, A et B, étant synchronisées, A, A1, A2… dénotera la variété des expériences du monde-A, B, B1, B2… la variété des expériences du monde-B. Ex. dans le sommeil je vis dans le monde du rêve ; dans un monde je serais roi, dans l’autre mendiant. Comme sujet d’expérience en général je pourrais bien être double ; mais en tant que personne, je serai tantôt le sujet personnel du monde-A, tantôt le sujet personnel du monde-B. De sorte que si je vivais comme solus ipse dans mon monde, il n’y aurait rien de décisif à objecter à la duplication du monde. S’il y a d’autres hommes, en revanche, et s’ils ne sont pas de simples unités de mes apparences, mais bien des sujets de leurs vies propres, ils n’auront aucune raison d’éprouver une rupture de congruence dans leur expérience du fait que je passe du monde-A dans le monde-B. Je demeurerai donc dans leur champ d’expérience et ce qu’ils me raconteront entrera en contradiction avec ma propre expérience : mes deux mondes seront pour eux les mondes d’un fou.   

Annexe XVIII. Le non-être possible du Monde. (1930) La constitution du Monde est-elle une nécessité ? Est-ce que cette constitution ne pourrait pas être abolie sans que je cesse d’être dans l’immanence ? La genèse du Monde à partir des données sensorielles serait alors réduite à une histoire [Geschichte]. Ma propre histoire implique que le flux de la vie et de l’être se continue jusqu’au point présent où je vis comme homme dans le Monde. Même si je puis toujours considérer comme possible que je me sois développé comme un sujet entièrement pathologique, la variation dont est issue cette possibilité ne cesse pas de renvoyer au fait du Monde. Toute folie a ses limites absolues : si loin de ma propre expérience que puisse être l’expérience de celui que je comprends comme homme, il n’en reste pas moins un être qui a l’expérience du Monde. Évocation de la possibilité que je me délie d’avec la congruence de l’expérience pour me retrouver dans une confusion [Gewühl] de données sensorielles, sans corps propre ni Nature constituée. La naissance, la mort, la transmigration de l’âme, l’immortalité de l’âme sont-elles des possibilités pensables ? L’idée d’une association des données sensorielles conduisant à l’appréhension d’une chose n’est-elle pas un reste de l’empirisme sensualiste de l’ancienne psychologie ? Non, si l’activité du sujet (kinesthèses) est nécessaire pour la constitution d’un Umwelt comme champ des intérêts pratiques de ce sujet. À la limite du pensable, on rencontre le thème de la vie antérieure prépersonnelle d’une “conscience inconsciente”, sans sujet ni objet identifiable, pur flux de vie dans un oubli sans rappel. Même le sommeil sans rêves comporte un certain mode de constitution, dans la mesure où ce sommeil s’inscrit dans une sphère qui s’étend au-delà de lui et grâce à quoi les éveils disjoints de la personne se donnent la main. Quant à l’embryon, il est déjà le centre subjectif d’un champ d’expérience, bien qu’il ne soit pas encore l’habitant d’un Umwelt.    

Texte N°23. Le droit originaire de la croyance au Monde. (1930) Toute visée d’être non donatrice renvoie à une donation. La donation comme soi-même est toujours présupposée dans la forme de la certitude. Nous restons constamment dans le milieu de la présomption et dans la progressive congruence des expériences. La connaissance se perfectionne grâce à ma libre direction de son cours dans les horizons d’expérience possible. Toute biffure de l’expérience discordante appelle un rétablissement de congruence par correction. Toute élimination de réalité antérieure comme apparence rétablit un monde congruent. De la confirmation continue de la présomption anticipée de l’existence du monde pour tous les sujets d’expérience procède le monde de notre expérience communautaire. Le fait fondamental est que la certitude de la congruence de l’expérience commune informe le flux universel de notre vie. La position ontologique du Monde est une nécessité qui la pénètre tout entière. La présomption de la congruence ultérieure de l’expérience n’est pas une aveugle croyance, mais plutôt un droit originaire que nous avons à la certitude du Monde.

Annexe XIX. L’évidence apodictique de la présomption d’un Monde. (1930) La présomption d’une expérience “authentique”, c’est-à-dire la possibilité qu’il y ait quelque chose d’irréductible dans l’ensemble de son cours, est impliquée dans la présomption d’un Monde vraiment existant. Le préjugé de l’expérience en faveur d’un univers de l’être vrai est fondé en droit. Si aucune expérience individuelle n’a de certitude absolue, en revanche le doute sur l’être du Monde lui-même est ridicule parce que l’évidence du Monde est d’une dignité supérieure à celle de l’expérience individuelle. Rien ne peut la contredire : l’expérience du Monde est d’un style d’authentification de soi continuelle.

Annexe XX. L’idée d’évidence apodictique. (1930) “Intuition apodictique” : une intuition impossible à contredire par une intuition nouvelle à la différence des intuitions ordinaires, pour lesquelles une évidence nouvelle peut toujours supprimer rétrospectivement une évidence antérieure. Pour l’évidence apodictique, sa remémoration est aussi du même coup son être actuellement en vigueur. Même s’il est possible que ma perception du Monde antérieure ne s’accorde pas complètement avec l’expérience présente et qu’elle subisse une biffure rétrospective, toutes les expériences du Monde constituent un seul et même Monde en vertu de la synthèse de congruence du non corrigé avec le corrigé. Identité ininterrompue de l’être en vigueur du Monde.

Annexe XXI. L’expérience porte en soi un être… (1932) Non apodictique est l’évidence qu’il peut être nécessaire d’abandonner. Sa validité dépend des expériences ultérieures. La structure de validité de l’expérience totale est telle que la validité de ce qui est resté congruent jusqu’à présent est une validité par provision [Geltung auf Kündigung] et non une validité définitive. La conscience d’un Monde un et identique traverse toute notre vie éveillée comme horizon des choses particulières. Il tient au sens de notre expérience que toutes les choses actuellement valides ne peuvent pas se changer en apparences. Le processus empirique est un processus de correction qui s’appuie sur la conviction que le monde dont on a eu l’expérience porte en soi un être véritable. Nécessité de l’élucidation phénoménologique pour dégager l’expérience du Monde de l’expérience des choses réelles. Même sans écarter la possibilité que des sujets puissent être dépourvus de monde, l’existence d’une intersubjectivité de sujets transcendantaux présuppose la constitution du monde.

Texte N°24. Le Je suis a-t-il un Monde ? (1933) La réflexion sur mon être d’homme n’est qu’un mode dépendant de mon expérience totale du Monde avec sa structure articulée en perception et horizon de validité, une expérience que j’ai aussi sans réflexion quand je m’occupe d’une réalité particulière. En quel sens mon être-pour-moi est-il apodictique ? Mon être tel ou tel, mes propriétés peuvent devenir douteux, mais la tentative de douter de moi-même demeure un acte du Je. Ma perception de moi-même contient la certitude de l’être du Monde associée à l’expérience que j’ai de corps qui peuvent se révéler de pures apparences. Le corps propre fait exception en ceci que la certitude de son expérience comme sens d’être unitaire fait partie de la vie de ma conscience. Ce corps propre, à son tour, peut-il être une simple apparence ? C’est chose impossible, tant que je me tiens sur le sol du Monde, parce que la conscience de mon corps y remplit une fonction privilégiée comme organe de toute expérience. Absurdité du dualisme cartésien qui sépare le sujet du monde corporel dans l’ignorance de la corrélation intentionnelle entre l’être du corps propre et l’être du Monde. Ce qui n’empêche pas qu’en une réflexion seconde sur mon pur sujet, poursuivie en toute indépendance par rapport à mon activité corporelle, je puisse avoir accès à une teneur ontologique non modalisable, et par là apodictique. 

Texte N°25. Mon être corporel fait partie du sol ontologique du Monde. (1937) Dans le Monde je suis un homme parmi d’autres choses ; j’ai une expérience de moi-même et des autres chose, et pour celles dont l’être est encore douteux, j’ai la certitude de pouvoir parvenir à une décision définitive. La vie se déploie sur un sol de convictions tacites qui vont de soi : que le Monde est un universum de choses qui sont d’une vérité décidable. Le cercle de l’expérience actuelle, quoique sans cesse renouvelé, inclut en toutes circonstances mon être incarné personnel. De mon être homme sur le sol du Monde j’ai une certitude apodictique ; tandis que tout autre objet d’expérience présuppose ma sensorialité corporelle propre et mon suivi kinesthésique de ses aspects variés. L’éventualité de la transformation de mon être psychosomatique change le monde entier en apparence. Le fait que le Monde est prédonné à notre vie rend très critiquable le procédé du doute de Descartes parce que le recours à la possibilité du non-être présuppose l’être du Monde. Même au point de vue mental je suis comme sujet incarné dans le Monde et ayant, comme tel, de ce Monde une expérience consciente. Le fait que chaque chose individuelle peut être douteuse n’équivaut pas au fait que la totalité du Monde peut être douteuse. Pour le sujet qui a conscience du Monde, il est simplement impossible de se représenter le Monde comme n’étant pas. Je suis homme dans le Monde, tout ce qu’il y a à connaître du Monde renvoie à moi comme sujet ; les autres sujets n’étant pour moi que sur la base de mon expérience propre. L’inhibition par moi de la valeur d’être qui sous-tend tout le mode naturel de vie ne signifie pas la suppression [Aufhebung] du sujet et de sa vie. Ce n’est pas à partir du doute qu’on arrive à la question de l’apodicticité et de la possibilité toujours ouverte du non-être de toute expérience de chose.

V. La structure des réalités du Monde quotidien : Texte N°26. Le concept naturel de Monde. (1926) §. 1. L’a priori de l’expérience concrète du Monde : Le “concept naturel de Monde” [allusion au titre de l’ouvrage de Richard Avenarius, Der menschliche Weltbegriff, 1891] n’est autre que la structure eidétique corrélative Umwelt – subjectivité pour laquelle cet Umwelt est et qui vit en lui. La subjectivité vit dans le Monde et se trouve dans le Monde : elle est à la fois agissante et elle-même un étant manipulable. On peut appeler “représentation du Monde” la teneur d’expérience qui précède toute détermination théorique. Rappel de la théorie transcendantale de l’expérience : libre variation ; pures possibilités ; généralités d’essence. La corrélation “Nous et notre Monde” : sa libre variation révèle ce qui appartient à un Monde en général comme Umwelt d’une subjectivité communicante : c’est-à-dire le fait que la subjectivité soit éveillée, que le Monde soit transformé par son action, qu’il présente certaines formes pratiques, que la subjectivité possède une formation communautaire et individuelle, et que les formes pratiques possibles de l’action répondent à une certaine typologie. Il existe un système des structures a priori du monde de l’expérience pour une subjectivité communicante. Toute praxis crée une œuvre en formant une matière qui peut elle-même être formée in infinitum. L’abstraction de la Nature est possible à la manière de l’abstraction de l’espace géométrique par délimitation d’un a priori structural clos, terrain d’une science fermée. Pour dégager l’a priori du Monde concret de l’expérience il faut un processus abstractif d’une autre sorte, qui soit de nature à mettre au jour les couches structurales de cette expérience. §. 2. Déconstruction [Abbau] du subjectif du Monde de l’expérience : La déconstruction de tout le purement subjectif aboutit à l’abstraction de la pure Nature, thème des sciences physiques et de l’ontologie de la Nature physique. Les sujets et les non sujets, ou choses. Ces choses ont des prédicats spirituels renvoyant aux actes des sujets. L’expérience implique une position d’être issue du sujet : “le Monde”, comme unité de validité qui s’atteste dans la poursuite congruente de l’expérience. Non moins passibles de déconstruction sont les prédicats du sentiment, de l’humeur et des tendances s’il s’agit de mettre au jour la teneur propre [Was] permanente de la chose. Les modes d’apparence, les perspectives et les orientations sont également soustraits de l’ontologie de la nature empirique. Mais en dehors du contexte méthodologique spécial de cette ontologie, il reste que le subjectif appartient aussi nécessairement à la chose que ses propriétés chosales typiques : on ne peut en avoir l’expérience que dans des perspectives subjectives. Les sujets incluent non seulement les hommes, en tant qu’êtres ayant l’expérience du même Monde que moi, mais aussi les animaux supérieurs, avec lesquels nous avons en commun le Monde intersubjectif et qui ont leur propre expérience de leur Umwelt. La praxis humaine est relation intentionnelle à l’Umwelt : frapper, pousser, façonner. Dans la perception le mouvement corporel joue son rôle à la fois comme objet et comme sujet. La réduction est toujours possible du corps à une pure chose de la Nature, une chose du type organisme. §. 3. Nature et esprit : Le subjectif ne forme pas une unité totale comparable à celle de l’ontologie de la Nature telle que les sciences modernes l’ont enclose de murailles théoriques. Tous les objets d’expérience ont leurs modes d’apparence subjective ; mais, de plus les corps de hommes ont une intériorité psychique active et passive centrée sur le sujet : pour chaque corps une monade fermée.

Texte N°27. Le noyau naturel du Monde. (1926) Le monde personnel, objet des sciences de l’esprit, est toujours le monde de l’expérience actuelle “comme il apparaît à chaque personne”. L’historien identifie le passé millénaire au présent d’un sujet passé. Le monde réel et la variété de ses présentations au sujet d’expérience forment un système formel dual. Toute œuvre est matière préalable et sens spirituel produit de l’action formatrice. L’expérience active produit le sens toujours nouveau de l’objet d’expérience : spiritualisation de la réalité. Le concept d’Umwelt est un concept ambigu qui renvoie tantôt aux réalités avec leurs propriétés réelles, tantôt au monde pratique des sujets. L’objectivation des modes subjectifs est toujours possible : la belle vue sur la cime de la montagne. Chaque être établi est une œuvre de notre praxis. Le domaine du subjectif est polarisé par rapport à la Nature : tout subjectif se présente dans l’Umwelt comme naturalisé [Naturalisiertes]. Nous avons un “monde objectif” prédonné comme champ d’expérience possible ; mais nous pouvons toujours prendre comme thème (le thème des sciences humaines) les personnes en communautés et l’accroissement qu’elles apportent à la Nature par leurs actions.

Texte N°28. Le Monde et sa structure fondatrice la Nature. (1929) §. 1. La méthode des formes essentielles d’un monde d’expérience possible : “Le Monde” désigne la totalité des réalités d’une expérience intersubjective congruente ; tandis que “Le Monde vrai en soi” renvoie à l’Idée d’un monde dans discongruence ni illusion. La variation des expériences possibles dans l’espace de jeu des possibilités alternatives de l’expérience présente a comme invariant la structure formelle générale “monde valide pour la subjectivité” : en fait partie l’Idée du Monde vrai en soi. §. 2. Les modes variationnels du réel : Une ontologie du monde comme monde de l’expérience. La forme de l’extériorité mutuelle des réels individuels est un ordre tel qu’à une seule et même place il ne peut y avoir qu’un réel. Ordre linéaire, continu, infini du temps. L’espace : système des places des corps. La forme inchangée d’un réel dans la durée n’est que le cas limite du changement de forme. Un réel concret est individué par sa position spatiotemporelle. L’extension spatiotemporelle est saturée par des moments qualitatifs changeants. Interdépendance mutuelle des changements des réalités selon les régularités de la causalité. §. 3. Les régions d’autoconservation des réalités : “Autoconservation” signifie identité permanente dans le changement. L’autoconservation de l’homme implique celle de l’organisme. L’autoconservation d’un réel suppose le maintien de quelque unité à travers le changement. L’organisme se conserve en vivant. L’homme se conserve dans la mesure où il perdure comme organisme et comme personne. Une ville se conserve à travers la vie et la mort de ses citadins. Une œuvre d’art se conserve tant que n’est pas détruit le corps auquel est attaché son identité spirituelle. À chaque région de réalités son mode de destruction. La région “Nature physique” est fondatrice pour toutes les autres. Un homme est à la fois objet physique, organisme et esprit : le même homme possède une identité triple sans pour cela qu’il soit un collectif. Il faut bien comprendre cette persistance de l’unité dans la pluralité que l’on trouve en chaque région fondée. Gardons-nous d’interpréter ce qui est plus que la simple Nature comme une totalité de fragments : ex. le préjugé de la coexistence de l’âme et du corps comme coexistence de deux corps liés entre eux par une loi causale. Partition des réalités en régions avec chacune son mode de changement spécifique. 

Annexe XXII. Les modes de changement du réel. (1929) Toutes les autres régions renvoient à la région fondamentale Nature. Fusionnement en un tout et division sont des modes de changement qui touchent à l’indépendance des réels, mais aussi mélange et séparation. Les conditions pour qu’une multitude forme un tout. Les processus ont leur mode d’identité typique. L’idée d’une connaissance des réalités physiques à partir de leurs éléments et de leurs régularités. Tous les changements possibles d’un réel sont soumis à des lois. L’intervention des sujets par l’action n’est pourtant pas une illusion : elle présuppose que la causalité universelle de la Nature laisse quelque chose d’ouvert. Chaque réel physique étant causalement lié au reste de l’univers physique, aura un comportement égal dans des circonstances égales : telle est la base de l’induction. À chaque région son mode de changement spécifique : le découpage d’une image peut sauvegarder, ou non, sa fonction d’image ; une symphonie peut être défigurée par son exécution ; une machine peut être démontée – ou démolie.

Texte N°29. Le Monde – objets réels et objets idéaux. (1929) §. 1. Les formes essentielles du Monde : noyau naturel et déterminations culturelles : Le réel concret est prédonné ; son expérience thématique ne requiert l’expérience thématique de rien d’autre. Les concrets ultimes sont des choses, non des atomes. L’identité, structure typique du Monde et des objets, n’exclut pas la diversité, pourvu qu’un noyau identique pour chacun soit sauvegardé. Chaque objet ou propriété a ses modes de donnée subjectifs, personnels ou communautaires, modes normaux ou anormaux. La vérité objective s’entend en deux sens : vérité inconditionnelle et vérité relative à chaque groupe de sujets. A priori chacun a l’expérience d’un Monde et d’un Monde commun comme variété unitaire de réalités soumises à une typologie universelle. §. 2. Objectivités idéales et objectivités réelles : Les objets mondains sont spatiotemporellement individués ; les objets idéaux sont des formations subjectives qui sont localisées grâce à la localisation des sujets. Elles peuvent être à plusieurs places spatiotemporelles tout en restant identiques. Omnitemporalité des objectivités idéales : déjà valables avant leur découverte, elles restent les mêmes en toutes leurs productions possibles. Leur localisation dans le Monde à chacune de leurs réalisations n’a pas le pouvoir de les localiser (ex. une proposition). Un objet idéal est en principe répétable, même si en fait il est unique : la Madone de Raphaël. Les personnes règnent dans un corps unique ; les communautés ont le mode de localisation d’une pluralité. Idéalité et réalité de la constitution de l’État : le citoyen, à la fois sujet portant en soi la volonté de l’État et objet soumis aux lois. Les idéalités libres : formations logico-mathématiques et essences pures sont omnitemporelles et omnispatiales ; les idéalités liées : formations culturelles, sont rattachées à un territoire particulier.

Texte N°30. Environnement naturel et Nature en soi. (1934) Les choses de l’environnement quotidien sont telles que la possibilité de s’en rapprocher est donnée à chacun. Pas encore, à ce niveau-là, de causalité naturelle, mais plutôt un style habituel n’excluant pas le hasard, quoique toujours en rapport au même Monde. Les différents Umwelten sont dans une réciprocité fondée sur la communication des inductions de chacun et leur mutuelle correction. L’Umwelt comporte aussi une certaine prévisibilité à base de causalité approximative, mais avec la possibilité ouverte d’événements contingents. Le problème est l’extension infinie de cet Umwelt en une Nature universelle à forme spatiotemporelle et à causalité générale et inconditionnelle. La division entre Umwelt terrestre et céleste se crée du fait que l’expérience du “cela même” dans le lointain et le proche n’est pas valable pour les apparences célestes. L’espace céleste possède alors son mode d’être propre : retour du Soleil et de la Lune, étoiles fixes, planètes errantes, autant de concepts formés sur la base de cette expérience du céleste. C’est seulement lorsque le caractère d’inaccessibilité vient à pouvoir être considéré comme contingent, grâce à l’importation de la limite mathématique (infinie) dans le terrestre, que la séparation entre terrestre et céleste peut être supprimée en un Monde désormais homogène. 

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Publié dans philosophie

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